Les Amis d’Al-Rowwad

Une bibliothèque ambulante véhicule l’alphabétisation dans les villages non-reconnus d’Israël

C’est vendredi après-midi à Lakiya, une petite ville de Bédouins palestiniens, et de nombreux habitants restent chez eux pour se protéger de la chaleur du désert.

Avec ses modestes bâtiments à un étage et ses rues étroites et poussiéreuses, cette bourgade est située au cœur de la région du Néguev, au sud d’Israël, et le sable et l’herbe brunie s’étendent à perte de vue. Alors que la mosquée voisine diffuse l’appel à la prière, des bénévoles du centre communautaire local s’apprêtent à faire leur tournée habituelle des villages des alentours pour leur apporter une ressource qui y serait sinon introuvable : des livres pour enfants.

Trois fois par semaine, des bénévoles locaux de l’Association pour l’amélioration du statut des femmes chargent des livres en arabe, en hébreu et en anglais dans un camion. Cette « librairie ambulante » quitte Lakiya pour se rendre dans des zones résidentielles dénuées d’infrastructure et de services de base parce qu’elles sont considérées comme illégales par l’État israélien. Fondée par l’association en 2000, la bibliothèque fait étape dans les villages non-reconnus d’Abu Kef, Owajan et Alatresh, desservant environ 1 750 enfants.

Après la prière de l’après-midi, Youssef al-Saane, le chauffeur, monte dans le camion, démarre et entame le court trajet jusqu’au village non-reconnu d’Owajan. Deux bénévoles de l’association le suivent dans une petite voiture qui n’a pas l’air adaptée au chemin rocailleux qui les attend.

« Au bout de la rue, on sort de Lakiya », a expliqué Youssef à Middle East Eye. « Au-delà de cette limite, plus aucun service n’est assuré. »

Lakiya est l’une des huit bourgades de Bédouins palestiniens que l’État d’Israël estime être légitimes. Des dizaines d’autres villages du Néguev sont considérés comme illégaux, et bien que leurs habitants soient des citoyens israéliens, on ne leur fournit pas d’eau courante, d’électricité ou de soins médicaux. En outre il n’y a pas d’école ni de bibliothèque dans des villages comme Owajan.

Alors que nous passons en territoire « non-reconnu », Youssef tend le bras et montre du doigt les ordures amoncelées sur le côté droit de la route.

« Regardez-moi ça – un dépotoir », a-t-il commenté. « Il n’a pas d’égouts ici, ni de ramassage d’ordures. »

De vastes étendues de terre dans les environs ont été déclarées terrains militaires, ce qui rend les déplacements et la construction encore plus difficiles, a ajouté Youssef.

« Il y a tellement de terrains disponibles par ici, mais nous n’avons pas le droit de construire », a-t-il expliqué, ajoutant que les Israéliens démolissent souvent des bâtiments construits illégalement dans les villages non-reconnus, et qu’ils rasent tout, des cliniques aux maisons.

Dès notre arrivée à Owajan, un groupe d’enfants nous a entourés et a aidé les bénévoles à décharger le camion et à installer un auvent pour abriter les activités de la journée.

Les maisons sont basiques, mais de nombreuses familles ont installé des panneaux solaires pour générer de l’électricité hors réseau.

La séance de lecture commence sans délai. Une bonne douzaine d’enfants bédouins, en majorité des filles, sont assis à l’ombre de l’auvent. L’un des bénévoles désigne l’un d’entre eux pour lire à haute voix un livre pour enfants qui parle du mérite d’aider les personnes âgées.

Plusieurs garçons surveillent de loin ces activités avec curiosité, sans y participer. Ils se cachent à une cinquantaine de mètres, dans la carcasse d’une camionnette blanche qui gît à côté d’un autobus en panne sur lequel on distingue encore les couleurs d’Egged, la plus grande compagnie d’autocars d’Israël, laissé rouiller là comme dans une décharge.

Les femmes bédouines et l’éducation

Alors que les garçons ne semblent guère manifester d’enthousiasme pour la bibliothèque et ses activités, ce sont pourtant eux qui auront le plus largement accès à des possibilités éducatives – même si cet accès reste très réduit.

Beaucoup d’entre eux finiront leurs études secondaires, mais on ne peut pas en dire autant des filles.

« Ici, la plupart des filles ne vont pas à l’école », a constaté Youssef. « Ces gens ont un point de vue différent. Pour eux, les filles finissent la quatrième et en général elles ne vont pas plus loin. »

Cette vision des choses commence peu à peu à changer à Lakiya, en partie grâce à l’association, a-t-il affirmé. « Mais pas dans les villages non-reconnus. »

Les familles bédouines ont l’habitude de décourager les jeunes filles de parcourir de longues distances pour aller à l’école. L’État a construit peu d’écoles secondaires dans les villages bédouins – certains villages, bien que « reconnus », n’ont pas d’école secondaire. En conséquence, les élèves doivent faire de longs trajets, souvent à pied, pour y arriver. Cela entraîne un taux de décrochage scolaire important – plus de 50 % selon de nombreux rapports – dans les communautés bédouines palestiniennes. Ce problème touche particulièrement les filles.

De petites Bédouines palestiniennes participent avec enthousiasme à une séance de lecture dans le village non-reconnu d’Owajan (MEE/Dave Leins)

Ala, une petite fille de 9 ans qui habite Owajan, semble être la plus excitée par l’atelier de lecture d’aujourd’hui.

« La bibliothèque ambulante nous donne le pouvoir de grandir, de lire et de comprendre », a-t-elle expliqué.

L’un des principaux objectifs de la bibliothèque itinérante et de l’association en général consiste à procurer plus de possibilités éducatives aux femmes de tous âges des villages bédouins du Néguev.

Lena al-Saane participait régulièrement aux activités de la bibliothèque ambulante quand elle était enfant, et aujourd’hui, elle est étudiante à l’Université Ben Gourion et l’une des bénévoles dévouées de l’association.

Elle a confié à MEE qu’elle encourageait toujours les jeunes filles à prendre la décision courageuse de poursuivre leurs études.

Les filles avec qui elle travaille lui disent souvent : « Je vais peut-être arrêter d’étudier. Je ferai peut-être comme ma mère et je n’irai pas à l’université. »

« Alors je [leur] dis, non, tu peux continuer à faire des études, tu peux progresser, tu peux étudier à l’université », a raconté Lena. Elle espère pouvoir être un exemple pour les jeunes femmes bédouines avec qui elle travaille.

Des défis imposés par l’État

Pour renverser les barrières, Lena affirme qu’elle devra lutter sur deux fronts. Une part de sa tâche consiste à reconnaître les entraves sociales que les femmes doivent affronter au niveau local, mais elle insiste sur le fait que la politique israélienne envers les bédouins palestiniens en général est un obstacle encore plus important.

« Comment un étudiant est-il censé rentrer de l’université [pour travailler] chez lui quand il n’y a pas d’électricité ou d’eau ? Ce genre de choses est un véritable obstacle. »

Mis à part leurs besoins matériels de base, les étudiants bédouins doivent aussi surmonter le désavantage de ne pas avoir l’hébreu comme langue maternelle. Il est indispensable de le parler couramment dans les universités israéliennes, mais avec le manque de ressources offertes aux Bédouins en matière d’éducation, leurs chances de succès sont minces, a ajouté Lena.

Au bout d’une heure environ, les bénévoles replient l’auvent et les enfants choisissent quelques derniers livres dans la bibliothèque. Youssef les salue de la main en remontant dans le camion.

Le prochain arrêt est un autre endroit que l’on considère comme faisant toujours partie d’Owajan, à 10 minutes de route de la première étape en conduisant lentement sur les pistes non-goudronnées du désert.

Youssef précise que les gens dans cette partie d’Owajan n’aiment pas être photographiés. Un jour, un groupe d’étrangers est arrivé et a pris des photos des maisons du village, et quelques jours plus tard, l’État a envoyé des bulldozers pour tout démolir.

Pendant que Youssef descend du camion, une quarantaine d’enfants se rassemblent – beaucoup d’entre eux sales et vêtus d’habits en loques. Un garçon dérape avec une bicyclette et un autre exhibe un chien squelettique qu’il tient en laisse. Deux ou trois enfants seulement semblent intéressés par les livres. Youssef explique aux enfants que les activités devront attendre un autre jour. Il va bientôt faire sombre. Il doit retourner à Lakiya, mais il précise qu’il va faire un autre arrêt rapide pour distribuer des livres avant de terminer.

Un changement de politique en vue ?

Lena a peu d’espoir que l’État israélien prenne des mesures pour changer la situation dans les villages bédouins dans un avenir proche. En fait, les reformes qui sont suggérées ne feraient qu’empirer les choses, a-t-elle affirmé à MEE.

En décembre, 2013, le projet de loi Prawer – un plan visant à détruire des dizaines de villages non-reconnus et à reloger leurs habitants en ville – a été rejeté par la Knesset après une vague de protestations nationales et internationales.

« C’est vrai que la loi [Prawer] n’est pas passée à la Knesset, mais il y a d’autres lois qui sont en préparation, donc nous devons suivre attentivement la situation », a-t-elle ajouté.

Les Bédouins et les autres Palestiniens d’Israël n’ont cessé de se mobiliser pour obtenir la reconnaissance de tous les villages du Néguev, sans grand succès.

Mais grâce à la poursuite des efforts communautaires, Lena reste optimiste pour le futur de l’éducation des enfants bédouins.

« J’ai de l’espoir pour eux, de la même façon qu’il y avait de l’espoir pour moi », a-t-elle conclu. Le gouvernement a mis en place de nombreux obstacles, mais nous sommes plus forts… Nous pouvons les surmonter. »

Traduit de l’anglais (original) par Maït Foulkes.



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